En matière de lutte contre les pénuries de médicaments, le Parlement a, cette semaine, imité le temps, en soufflant le chaud et le froid ! En effet, suite à l’alerte lancée par l’UFC-Que Choisir quant à l’explosion des ruptures de stocks (multipliées par 6 en 4 ans pour atteindre 2 400 médicaments) avec des conséquences parfois lourdes pour les usagers confrontés à ces ruptures, le Sénat a adopté la semaine dernière un amendement au budget de la sécurité sociale (PLFSS), prévoyant la constitution de stocks de sécurité couvrant 4 mois de besoins en médicaments. Ma joie fut malheureusement de courte durée : du côté de l’Assemblée nationale, la commission des affaires sociales est déjà revenue sur cette avancée.
Nous nous orientons donc vers des stocks de sécurité couvrant un à deux mois de besoins en médicaments, alors que la durée médiane des pénuries de médicaments en 2020 est de 8 mois. C’est dire si l’on est loin du compte ! Et les arguments avancés, tant par le gouvernement que par la majorité, pour repousser cet amendement, sont pour le moins fallacieux. « Les médicaments stockés pourraient se périmer ». Il s’agirait pourtant, bien entendu, d’organiser intelligemment ces stocks, pour que la rotation des produits permette qu’ils ne restent pas sur l’étagère trop longtemps – et pour les médicaments qui se conservent mal, des exceptions seraient bien sûr possibles. « Ce serait contraire aux règles européennes et nous nous exposerions à une mise en demeure de la Commission européenne ». Comment dans ce cas le Danemark, la Finlande et les Pays-Bas ont-ils réussi à constituer des stocks dépassant parfois amplement ces quatre mois ? Quant au fait que la mesure ne serait pas utile car nous disposerions déjà d’un stock de quatre mois pour 20 % des MITM, je vois mal comment être rassuré en apprenant que 80 % des médicaments essentiels n’en disposent donc pas aujourd’hui.
L’Assemblée poursuit, en séance publique cette fois, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale au début de la semaine prochaine. Compte tenu de la gravité croissante de ce phénomène, j’exhorte les députés, à la lumière de notre récente étude, à réintroduire la sage mesure votée au Sénat. De même, j’appelle le gouvernement à publier sans tarder le décret d’application sur les alternatives en cas de rupture de stocks, mesure adoptée l’an dernier qui tarde à entrer en vigueur…. L’inaction pour lutter contre les pénuries de médicaments est en effet une amère pilule difficile à avaler.
Alain Bazot
Président de la fédération UFC-Que Choisir
Publié sur quechoisir.org, le 20/11/20