Les 2 et 3 juillet 2020 s’est tenu le procès ENVIR (société démarcheuse dans le cadre de travaux de rénovation énergétique).
Notre association dénonce les pratiques de cette société depuis sa création en 2013 sous le nom de Union Ouest Habitat, puis HD Energie avant de devenir ENVIR. L’affaire avait été mise en délibéré au 31 août 2020. Le jugement est désormais connu.
La société ENVIR (et autres sociétés du même groupe) a été reconnue coupable d’escroquerie, de tentative d’escroquerie, de pratiques commerciales agressives, du non-respect de certaines règles du démarchage à domicile.
Le gérant et plusieurs de ses collaborateurs ont été condamnés. 4 prévenus sont condamnés à des peines d’emprisonnement allant de 18 mois à 3 ans dont une partie avec sursis et 4 autres à des peines avec sursis. Par ailleurs, des interdictions d’exercer une profession commerciale ou de gérer une société de 5 et 10 ans, des amendes et des confiscations de biens ont notamment été prononcées. Plusieurs prévenus ont interjeté appel du jugement.
Il faut que ce procès (et d’autres qui devraient suivre) serve d’exemple.
Nous nous félicitons que les peines prononcées soient à la hauteur des faits et du nombre de victimes. En écrivant ces mots, notre association n’entend pas se focaliser sur la personne physique du gérant en tant que telle mais sur les pratiques commises. Il faut que ce procès (et d’autres qui devraient suivre) serve d’exemple. Stop aux sociétés qui se créent et « profitent de la vie » sur le dos de consommateurs qui, eux, s’endettent. Stop aux pratiques commerciales déloyales dans le cadre de démarchages liés à des travaux de rénovation énergétique.
Nous estimons que ces pratiques commises envers des consommateurs doivent être considérées comme des délits économiques majeurs et qu’elles doivent faire l’objet de missions prioritaires des Parquets, avec des moyens spécifiques dédiés. Nous félicitons à ce sujet la célérité du Ministère public et de la gendarmerie pour cette affaire.
Concernant les victimes qui se sont constituées partie civile, dont une dizaine sont des adhérents de différentes associations locales UFC-Que Choisir, il faudra attendre le 13 avril 2021 puisque l’affaire a été renvoyée, sur intérêts civils, à cette date. Affaire à suivre !
Retour sur le procès ENVIR : un dossier « monstrueux »
Le procès s’est déroulé sur deux jours et s’est tenu à la date prévue. Pandémie de la Covid-19 oblige, le nombre de places dans la salle du tribunal était limité. Cette affaire a été très médiatisée. La presse écrite, les télévisions locales, les radios, ont informé le public de la tenue et du déroulé de ce procès hors norme, en citant rarement le nom de la société concernée. Les infractions sont notamment les suivantes : escroquerie, pratiques commerciales trompeuses et agressives, obtention d’un paiement pendant le délai de rétractation.
Pourquoi « procès hors norme », « monstrueux » ?
9 prévenus, 5 sociétés concernées, une vingtaine d’avocats, plus de 100 victimes, plusieurs infractions, deux jours de procès.
Les prévenus sont tous jeunes : le gérant, des cadres, des commerciaux. On peut distinguer deux tendances : les cadres qui nient les pratiques et les commerciaux qui reconnaissent les faits. Tous insistent sur le fait qu’il n’y avait pas de volonté de nuire.
Le gérant a expliqué le mode de recrutement des salariés (les compétences scolaires n’ont pas d’importance, c’est au feeling, à la motivation). Il s’est également expliqué sur le train de vie de la société qu’il a qualifié de « généreux » : un parc automobile de belles berlines, du matériel informatique et de bureautique, des séminaires à Cannes et Amsterdam, …tout cela basé sur une notion de « partage », de « fidélisation et de bien-être » des salariés. La formule serait « les commerciaux d’abord, les clients ensuite ».
Le déroulé de la démarche commerciale
Elle débute par un démarchage téléphonique effectué par un centre d’appels basé en Tunisie.
Les cadres nient avoir usé de pratiques commerciales trompeuses. Ils contestent avoir donné une « trame » basée sur les termes « attestation de conformité », « taxe », « certificat de garantie », « Ministère de l’Ecologie ». Tous ces termes ont pour but à la fois de donner confiance aux consommateurs mais également de les apeurer.
Les personnes contactées sont pour la plupart des personnes âgées. Les prévenus le contestent ou l’expliquent : les actifs, non retraités travaillent et ne sont pas chez eux au moment où la société œuvre. Les mis en cause affirment également que la moyenne d’âge des victimes ne reflète pas celle de l’ensemble de leurs clients.
Lors de la visite des commerciaux au domicile des clients, un logiciel était utilisé pour établir un bilan thermique. Les commerciaux mettaient eux-mêmes la lettre D (modifiable) qui qualifiait la catégorie énergétique du logement. Cette lettre avait pour but de dramatiser et démontrait que des travaux devaient être effectués en urgence.
Il est en outre reproché au gérant d’avoir surfacturé les prix des produits et prestations (jusqu’à 100 fois le prix du marché selon l’enquête de la Direction Départementale de la Protection des Populations). Pour le gérant, les prix sont assumés et justifiés.
Autre grief : faire signer de façon simultanée le document d’information précontractuel et le bon de commande, le premier document étant placé au-dessus et masquant le second. Les cadres contestent cette infraction tandis qu’un des commerciaux confirme que cela faisait partie de la formation.
D’autres infractions existent (faux avis achetés sur Internet ou de salariés / mention RGE sur les cartes de visite alors que la société ne l’était plus, non-conformité des matériels par rapport à la commande, obtention d’un paiement pendant le délai de rétractation, notamment). Pour ces griefs, les prévenus ont invoqué une méconnaissance du droit ou des erreurs.
Le réquisitoire du Ministère public a duré deux heures.
La vice-procureure de la République Blandine Martin s’est étonnée du fait que les prévenus n’avaient pas eu un mot pour les victimes. Elle a cité le nom de beaucoup de victimes pour illustrer les pratiques. Elle a rappelé que la société avait déjà eu un contrôle de la Direction Départementale de la Protection des Populations et des plaintes de notre association et pourtant, les faits ont perduré.
Le Ministère public a requis, entre autres, des peines d’emprisonnement ferme pour les cadres et avec sursis pour les autres ainsi que des amendes et l’interdiction de gérer une activité commerciale pendant 15 ans.
Des plaidoiries Victimes et Prévenus
Les avocats des victimes ont tous mis en avant l’âge de leurs clients, leur situation familiale, leur état de santé, de faiblesse, ont dénoncé les pratiques commises qui ont créé de la honte chez certains et qui ont engendré une situation financière difficile.
Certaines victimes étaient présentes sans avocat. Elles avaient des difficultés à s’expliquer (la peur du tribunal n’y étant certainement pas étrangère). La présidente a pu comprendre la nature des clients démarchés. Certains ont été entendus mais ils ne pourront pas obtenir réparation dans le cadre de ce procès car ils n’ont pas été recensés comme victimes pour les audiences des 2 et 3 juillet. Pour eux, il faudra attendre.
La défense des prévenus
Les avocats des prévenus, quant à eux, ont demandé la relaxe ou tout du moins des peines beaucoup moins sévères. Ils ont reproché une procédure « trop rapide », exclusivement à charge, orientée. Les avocats des commerciaux ont plutôt misé sur des erreurs de jeunesse et sur le fait qu’ils n’avaient fait qu’appliquer les directives pour les faits non contestés.
Pour l’avocat du gérant, la société était de type pyramidal. La « base de la pyramide a échappé » à son client. Il a délégué et a fait confiance. Son erreur a été de proposer à ses collaborateurs un salaire fixe et des primes en cas de ventes.
Notre association n’a évidemment pas manqué de se constituer partie civile et ce, dans l’intérêt collectif des consommateurs.
Maître ORSINI nous représentait. Notre avocate a rappelé le nombre de dossiers ouverts depuis la création de la société en 2013 (près d’une centaine). Nos diverses actions pour dénoncer et contrecarrer les pratiques ont été rappelées : traitement des dossiers, communication, échanges avec la Direction Départementale de la Protection des Populations, avec le Parquet, les services de police et gendarmerie.
Evelyne Gaubert, Présidente et Aurélie Dupont, juriste à l’UFC-Que Choisir de la Sarthe