Projet de loi Agriculture et Alimentation * : un texte sans ambition, qui coûtera cher aux consommateurs
Dans les semaines à venir, les parlementaires vont reprendre leurs travaux d’examen de ce projet de loi et l’adopter définitivement après l’avoir plus ou moins modifié.
Notre avis sur ce projet
Globalement, c’est très décevant. La loi devrait être l’émanation des Etats Généraux de l’Alimentation qui ont eu lieu durant le second semestre 2017. Ils ont mobilisé tous les partenaires concernés, professionnels, société civile, services de l’Etat et collectivités pendant 35 000 heures ! Divers consensus s’en sont pourtant dégagés. Ils ont cependant été pour la plupart ignorés ! Cette loi devait aussi intégrer les promesses du Président de la République, concernant par exemple le glyphosate. Ce n’est malheureusement pas le cas ! C’est un projet sans grande ambition qu’ont voté les députés ! En revanche, cela va coûter très cher aux consommateurs.
Y aura-t-il une rétribution des agriculteurs par un juste prix d’achat de leurs produits ?
C’est l’un des buts de cette loi. Il est normal que les consommateurs y participent. Mais ceux-ci n’acceptent de payer plus cher que lorsque la qualité est présente. C’est le cas pour le Bio, les labels rouges, les produits AOC, par exemple. La mesure phare du gouvernement est de relever le seuil de vente à perte (SRP) de 10% sur les produits alimentaires. Le SRP est le prix en dessous duquel un produit ne peut être vendu. Mais les services de l’Etat ont eux-mêmes estimé la répercussion de cette mesure pour les consommateurs : 5 milliards d’euros par an ! C’est énorme ! En outre, il n’y a pas d’assurance que tout ou partie aille vers les agriculteurs. Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation renvoie sur des engagements qui seraient pris volontairement dans les filières ! Mais le fait est que ce n’est pas dans la loi et quid du contenu de ces engagements ? Comme dans le passé, ce sont les intermédiaires, l’industrie agroalimentaire et la grande distribution, qui vont être les grands gagnants.
Les trop rares avancées apportées à ce projet de loi
Des députés, y compris certains de la majorité, ont proposé en mai, lors des travaux en commission., des amendements pour la qualité de l’alimentation. Mais seulement quelques-uns ont été retenus en séance plénière, sous la pression du gouvernement, puis supprimés en juin par le Sénat. Vont-ils être réintroduits et être plus nombreux ?
Principaux exemples de ces amendements sur la sellette :
– l’apposition de la mention « animal nourri avec des OGM », à partir de 2023 ;
– une information sur le nombre de traitement par des produits phytosanitaires ;
– pour les restaurants scolaires, au moins 50% de produits Bio ou de produits issus d’une agriculture respectueuse de l’environnement (mais c’est flou!) en 2022 ;
– la mise à disposition de doggy bags dans les restaurants pour emporter ses restes et lutter contre le gaspillage alimentaire.
Mais il n’y a malheureusement rien sur la suppression du glyphosate à l’horizon de 3 ans et la reconquête de la qualité de la ressource en eau.
Des mesures à caractères volontaires sont, comme d’habitude, proposées pour soit disant résoudre les problèmes d’environnement et de santé ! Mais cela fait 15 ans que les mêmes recettes inefficaces sont avancées.
Bilan à ce jour du projet de loi :
– 5 milliards d’euros de plus à payer par les consommateurs
– pas de transition agricole et alimentaire, demandée durant les Etats Généraux de l’Alimentation
– aucune assurance d’une juste rémunération des agriculteurs
Espérons que la trêve estivale aura permis à nos parlementaires de prendre conscience des nombreuses insuffisances du projet de loi, et qu’ils seront amenés à le corriger fortement !
Rappel des demandes de l’UFC-Que Choisir
Au sein d’une plateforme citoyenne, constituée d’une cinquantaine d’associations, l’UFC-Que Choisir reprend ce qui est issu des Etats Généraux de l’Alimentation. A savoir :
– la définition d’un prix abusivement bas, en dessous duquel l’industrie agroalimentaire, la grande distribution, ne pourront pas acheter de produits agricoles ;
– la mise en place d’un arbitrage public des relations commerciales ;
– surtout nous voulons la suppression du relèvement du seuil de revente à perte (SRP) ;
– un soutien structurant à des filières et des dynamiques de Commerce Équitable « origine France », comme filières internationales, en tant que démarche permettant d’apporter aux consommateurs des garanties, vérifiées et tracées, sur la juste rémunération des producteurs ;
– la santé environnementale avec l’interdiction du glyphosate à 3 ans, l’encadrement des néonicotinoïdes, des perturbateurs endocriniens, des huiles minérales, des additifs, mais aussi des nanomatériaux dans l’alimentation. Malgré un rapport sans appel de l’IGAS, rien n’est fait pour interdire au plus vite les pesticides les plus dangereux dans la loi ;
– la protection des riverains des zones cultivées, en instaurant des zones sans pesticides de synthèse aux abords des habitations ;
– un meilleur étiquetage pour les consommateurs : mode d’élevage, nourri aux OGM, nombre de traitements pesticides, etc ;
– le renforcement de la sécurité sanitaire de notre alimentation, notamment en redonnant les moyens à l’Etat d’être plus efficace, en exigeant plus de transparence sur les contrôles, la prévention et la gestion des crises et en stoppant l’impunité des industriels grâce à des sanctions exemplaires ;
– les scandales de la viande de cheval, du Fipronil dans les œufs, du lait de Lactalys sont déjà oubliés par le gouvernement, les parlementaires, les lobbys professionnels ! La pression de ces derniers est plus importante que notre santé, notre environnement, notre pouvoir d’achat ;
– la réglementation de la publicité et du marketing qui ciblent les enfants pour des produits trop sucrés, trop gras, trop salés, à l’origine de plus en plus d’obésité ;
– des mesures efficaces, réglementaires et financières, pour une transition environnementale de notre agriculture, permettant par exemple l’atteinte d’une optimisation des actions de fertilisation azotée et de diminution drastique de l’emploi des pesticides.
Pierre Guillaume, responsable environnement de l’UFC-Que Choisir de la Sarthe
* Le titre exact du projet de loi est : « loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et pour une alimentation saine, durable et accessible à tous ».